Introduction
La présence des femmes dans le secteur technologique au Mali constitue un enjeu majeur, à la croisée des dynamiques mondiales d’inclusion des genres dans les STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques) et des réalités socioculturelles propres au pays. Cet article propose un état des lieux de la situation, en s’appuyant sur les données disponibles, en identifiant les obstacles rencontrés par les femmes, et en esquissant des pistes pour une meilleure inclusion.
Contexte général : une représentation encore marginale
Bien que le secteur technologique malien soit en pleine croissance, il reste encore peu développé en comparaison avec d’autres pays africains tels que le Nigeria ou le Sénégal. La digitalisation, l’accès à Internet — estimé à environ 30 % de la population en 2023 selon la Banque mondiale — ainsi que l’essor des start-ups locales progressent, mais les femmes y demeurent largement sous-représentées. Cette réalité résulte de facteurs structurels, culturels et éducatifs qui restreignent l’accès des femmes aux opportunités dans ce domaine.
Statistiques sur la participation des femmes dans la tech
Les données spécifiques concernant les femmes dans la tech au Mali sont rares et souvent fragmentaires, les enquêtes nationales portant davantage sur des secteurs tels que l’agriculture ou la santé. Toutefois, les tendances régionales et quelques observations locales permettent de dresser un tableau significatif.
Représentation dans le numérique
En Afrique subsaharienne, les femmes représentent environ 24 % des effectifs du secteur numérique, d’après une étude de la Société Financière Internationale (IFC, 2022). Au Mali, ce chiffre serait probablement inférieur, en raison des limitations d’accès à l’éducation et du poids des normes patriarcales.
Selon une enquête de l’association Elles Bougent (2024), seulement 25 % des ingénieurs en activité dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest sont des femmes — une proportion qui chute davantage dans les spécialités techniques telles que le développement logiciel ou la cybersécurité.
Éducation et formation
L’accès des filles à l’éducation reste un défi, en particulier dans les zones rurales. Selon l’UNESCO (2023), seulement 37 % des filles terminent le cycle secondaire, contre 45 % des garçons. Cette disparité se répercute sur le nombre de jeunes femmes accédant aux filières technologiques.
À l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako (USTTB), les femmes représentent moins de 15 % des étudiants dans les filières informatiques et d’ingénierie (données approximatives issues de rapports régionaux).
Entrepreneuriat dans la tech
Les femmes entrepreneures dans le secteur technologique sont encore peu nombreuses. Une étude d’Infogreffe (2023) révèle que 33,1 % des entreprises créées en Afrique francophone le sont par des femmes, mais ce chiffre tombe à environ 10 % lorsqu’il s’agit de start-ups technologiques, du fait d’obstacles financiers et des stéréotypes de genre.
Obstacles à l’inclusion des femmes dans la tech au Mali
- Barrières éducatives
L’accès à une éducation de qualité est un défi majeur, en particulier pour les filles. Les normes culturelles favorisent encore le mariage précoce : selon ONU Femmes, 53 % des femmes maliennes sont mariées avant l’âge de 18 ans, interrompant ainsi leur scolarité. Par ailleurs, les filières STEM sont souvent perçues comme étant réservées aux hommes, décourageant les jeunes filles à s’y orienter. Une enquête d’Epitech (2021) indique que seules 33 % des filles sont encouragées par leurs parents à envisager une carrière dans le numérique, contre 61 % des garçons.
- Stéréotypes de genre et sexisme
Les stéréotypes de genre restent très ancrés. Les femmes évoluant dans la tech font face à des attitudes sexistes, aussi bien durant leur parcours académique que dans le milieu professionnel. Une étude mondiale menée par Gender Scan (2022) indique que 46 % des femmes dans le numérique ont été confrontées à des comportements sexistes. Bien que peu documentée au Mali, cette réalité est fréquemment rapportée dans les écosystèmes tech urbains comme à Bamako.
- Accès limité aux ressources
L’accès au financement et aux infrastructures technologiques constitue un obstacle majeur. Les femmes entrepreneures rencontrent des difficultés pour obtenir des prêts ou des investissements. Selon le collectif Sista (2020), plus de 90 % des fonds levés pour les start-ups en Afrique francophone sont captés par des équipes masculines. De plus, l’accès à Internet et aux outils numériques est particulièrement restreint dans les zones rurales, où vit 68 % de la population malienne.
- Contraintes socio-économiques
Le Mali figure parmi les pays les plus pauvres au monde (184e sur 189 selon l’Indice de Développement Humain du PNUD en 2019). Les femmes, qui représentent près de 50 % de la population, sont souvent cantonnées à des rôles domestiques ou à l’économie informelle (agriculture, petit commerce). Leur implication dans les secteurs innovants comme la tech reste marginale, freinée également par l’instabilité sécuritaire dans certaines régions du pays.
Initiatives et dynamiques de changement
Programmes de formation
Des initiatives comme Women in Tech Mali ou Tech4Girls offrent des formations en codage, design numérique ou entrepreneuriat à destination des jeunes filles, dans le but de réduire l’écart éducatif et de promouvoir les carrières technologiques.
L’initiative Digital Ambassadrices, soutenue par ONU Femmes, forme également des femmes rurales à l’usage du numérique dans les domaines de l’agriculture et du commerce.
Réseaux et mentorat
Des réseaux comme Femmes@Numérique, actifs en Afrique francophone, organisent régulièrement des ateliers de sensibilisation et mettent en valeur des modèles féminins inspirants dans le secteur numérique. À Bamako, des structures comme DoniLab soutiennent les femmes entrepreneures, bien que leur représentation y soit encore faible.
Politiques publiques
Le gouvernement malien, en collaboration avec des partenaires internationaux, encourage l’inclusion des femmes dans les TIC à travers la stratégie nationale de développement numérique. Toutefois, ces efforts sont souvent freinés par le manque de financement et les tensions politiques.
Perspectives pour une meilleure inclusion
Pour favoriser la participation des femmes dans la tech, plusieurs leviers doivent être activés :
- Renforcer l’éducation des filles : investir dans des programmes dès le primaire pour démystifier les STEM, offrir des bourses pour les études en technologies et ingénierie.
- Combattre les stéréotypes : lancer des campagnes de sensibilisation, promouvoir des figures féminines maliennes dans le numérique comme modèles à suivre.
- Améliorer l’accès aux ressources : développer les infrastructures numériques dans les zones rurales, créer des fonds d’investissement dédiés aux femmes dans la tech.
- Créer des environnements inclusifs : adopter des politiques anti-sexisme dans les entreprises, encourager la promotion des femmes à des postes de responsabilité, et mettre en place des programmes de mentorat.
Conclusion
La place des femmes dans la tech au Mali demeure marginale, freinée par des obstacles éducatifs, socioculturels et économiques. Bien que les données soient souvent lacunaires, les tendances régionales et les constats locaux montrent une sous-représentation notable, tant dans la formation que dans l’entrepreneuriat. Cependant, des initiatives prometteuses émergent, créant des opportunités de formation, de réseautage et de mentorat. Pour que les femmes puissent pleinement participer à la transformation numérique du pays, une mobilisation conjointe des pouvoirs publics, de la société civile et du secteur privé est indispensable.
Sources :
- Banque Mondiale (2023)
- UNESCO (2023)
- ONU Femmes Mali (2022)
- IFC (2022)
- Gender Scan (2022)
- Infogreffe (2023)
- Epitech/Ipsos (2021)
- Sista (2020)
- PNUD (2019)
- Elles Bougent (2024)
Remarque : certaines données sont basées sur des extrapolations régionales en l’absence de statistiques spécifiques au Mali.
